Il ne s’agit pas ici d’avoir recours à une boule de cristal ou de de s’auto-proclamer nouveau prophète. Il s’agit simplement de consulter les différents acteurs du terrain et observateurs afin de mettre en exergue des marqueurs pouvant indiquer des évolutions notoires.
Lubie du moment ou tendance de fond, il est parfois difficile de catégoriser une pratique lors de ses prémices. Mais aujourd’hui, plusieurs éléments, amenés à durer dans le temps, semblent indiquer qu’une évolution forte de l’industrie est en marche et que les entreprises qui en sortiront gagnantes (ou juste vivantes) seront celles qui auront su s’adapter. Et surtout anticiper : car le secteur industriel n’est pas exactement, de par sa nature, le plus agile et flexible.
Quelle entreprise peut se payer le luxe de renouveler son parc machines sous 1 ou 2 ans sous prétexte d’une économie d’énergie ou de refonte process ? Quid de l’amortissement des machines actuelles ?
Les évolutions qui se profilent à l’horizon sont de l’ordre de trois catégories : les nouvelles compétences à intégrer à l’équipe, la révision de la chaîne de valeur et enfin, la prise en compte de l’expérience client. Elles répondent à des problématiques liées au changement de l’écosystème de l’entreprise qui traverse une crise d’échelle mondiale sur les aspects environnementaux, sanitaires, géopolitiques et culturels.
Le défi de l’industrie française sera donc de transformer ces contraintes en opportunités. Et pour cela, innovation, résilience et leadership seront les maîtres-mots d’un avenir assuré ! (Lire notre article sur l’industrie 4.0 : ses 6 piliers)
1. Contexte actuel des directeurs industriels
Le covid et la crise actuelle des matières premières ont plongé une majeure partie des entreprises en difficulté depuis quelques années. Ces évènements ont directement pointé du doigt la structure la chaîne de valeur de l’entreprise et dont la force… n’est égale qu’à celle de son maillon le plus faible.
Les services d’achats et approvisionnements les moins réactifs ont d’abord été totalement immobilisés avant de pouvoir reprendre du service, sous conditions de modifier totalement leurs manières de travailler. Ceux qui ont réussi à maintenir l’approvisionnement de la chaîne de production avaient des caractéristiques bien propre aux choix stratégiques de l’entreprise.
Les premiers qui ont su limiter l’impact ont été les entreprises les plus ouvertes à leur écosystème : leur fonctionnement ou les outils qu’elles utilisent leur ont permis de garder le lien avec un réseau de fournisseurs parmi lesquels sourcer de manière agile. Parfois en payant le prix fort de l’inflation, mal nécessaire pour assurer la disponibilité des matières ou produits indispensables à la production.
Les seconds services achats & approvisionnements les moins impactés sont ceux des entreprises qui ont fait le choix stratégique de relocaliser leur production ou leur sous-traitance. Un choix motivé, entre autres, par l’intérêt porté au Made in France par les clients. Ainsi, ces entreprises réduisent leur dépendance au contexte et aux crises géopolitiques et sanitaires.
Au final, quel coût vaut-il mieux assumer ? Un coût financier gage de qualité et de disponibilité des produits ? Ou un coût d’insatisfaction client dû à un retard de livraison et un manque de visibilité sur les délais ? Si vous n’avez pas la réponse, vos clients l’auront sûrement.
2. L’intelligence connectée : innovation et maîtrise de la chaîne de valeur pour les directeurs industriels
Pour se différencier des concurrents et créer de la valeur ajoutée auprès du client, il ne suffit plus de créer un produit : il faut prendre beaucoup de recul et penser expérience client en se projetant grâce aux nouveaux outils technologiques.
Et cela, les leaders tels que Tesla l’ont bien compris et révolutionnent le process. Le sujet n’est plus uniquement de créer un bon produit mais d’innover dans l’offre de service qui va accompagner le produit pour faire vivre une expérience unique au client. L’une des avancées majeures réside dans l’apparition des objets connectés et intelligents. Les entreprises qui apprendront et créeront de nouveaux moyens de tirer parti de cette technologie vont s’assurer des parts de marché dans les prochaines années.
Cette nouvelle technologie n’est autre que la connectivité des objets via internet. Grâce à des capteurs placés sur l’objet ou la machine, ceux-ci deviennent « intelligents ». Ces capteurs vont permettre une remontée des données de production phénoménale.
La question est dès lors : qu’en faire ? Car l’implémentation de ces capteurs ne se suffit pas à elle seule. Encore faut-il disposer d’un système d’information adapté pour les traiter et restituer une synthèse permettant de piloter la production à un niveau plus élevé que le simple périmètre de l’atelier.
Cette meilleure exploitation de la data doit offrir de la hauteur et un accès direct à des données agrégées sur lesquelles prendre des décisions de gestion globale avisées.
Cette innovation technologique challenge en conséquence l’innovation des entreprises dans leur productivité mais aussi dans leur création de valeur ajoutée auprès du client final.
3. Les ressources humaines : attractivité et remise en question organisationnelle pour les industriels
3.1 Être une industrie attractive pour attirer des talents stratégiques
Si l’accent technologique se renforce, il en va de pair avec le facteur humain. Les évolutions impliquent de nouvelles compétences, qu’il est dur d’assimiler « sur le tas » car il faut repenser les modèles. C’est pourquoi les entreprises vont devoir répondre à l’enjeu d’attirer les nouvelles générations pour rafraîchir leurs méthodes afin de rester en course et pour effectuer un transfert de compétences sur les métiers techniques auxquelles devront s’ajouter un vernis IT.
Les freins que rencontrent les entreprises sont de plusieurs origines :
> Un équipement vieillissant, qui n’est pas pensé pour communiquer avec d’autres outils ou s’ouvrir. Ce qui donne des systèmes d’informations avec une forte inertie : les API qui sont développées sont opportunistes et souvent pauvres, ce qui n’apporte pas de valeur ajoutée notable au directeur de production. Elles ne se prêtent donc pas aux changements que peuvent apporter la nouvelle génération d’ingénieurs et techniciens.
Les entreprises qui ont le mieux réussi sont celles qui ont pensé leur système d’information sur une stratégie long terme : elles se sont posées la question de savoir si l’outil dans lequel elles investissaient allait suivre leur croissance et les évolutions de l’écosystème. Cet effort financier qu’elles ont fait leur confère actuellement un avantage concurrentiel certain car elles peuvent piloter en temps réel grâce à une connexion privilégiée à leur écho système et à un traitement massif de données.
> Frein culturel et a trait à l’aspect environnemental, auquel les jeunes générations sont de plus en plus sensibles.
Or l’industrie est bien souvent le coupable idéal, avec une image forte d’activité polluante. Mais les investissements pour renouveler son activité en prenant en compte ce volet sont colossaux. Cependant ils deviennent incontournables pour les entreprises qui subissent également cette pression en provenance de leurs clients : avoir une usine répondant aux normes ISO relatives au respect de l’environnement devient un critère éliminatoire.
3.2 Le rôle de l’opérateur : une révolution silencieuse au cœur des industries
Un autre frein s’insère au sein de cette problématique : l’organisation historique de l’industrie, qui s’est construite selon un mode hiérarchique. Initialement le directeur industriel dirigeait des équipes en transmettant des ordres à des opérationnels.
Aujourd’hui cette organisation évolue malgré et à l’insu des entreprises à travers l’acquisition de leurs nouvelles machines-outils. En effet, les fabricants de machines-outils ont un pas d’avance sur leurs clients car ils ont déjà intégré des capteurs à leurs produits leur permettant de récolter de la data pour effectuer de la maintenance prédictive. Mais ces capteurs délivrent également un grand nombre de données à l’opérateur.
Toutefois, si l’entreprise n’est pas équipée pour traiter ce volume ou l’intégrer à son système d’information, ces data sont obsolètes. Cependant, si l’opérateur peut les exploiter, c’est là que se déroule une évolution silencieuse : il lui est demandé d’être pro-actif et de passer d’un simple rôle opérationnel à un rôle plus analytique. Il lui incombe la responsabilité d’estimer quelles sont les informations pertinentes pour le top management car elles peuvent revêtir un aspect stratégique pour l’entreprise.
Cela impacte directement le rôle de directeur industriel car son rôle n’est plus descendant mais sera désormais d’animer ce changement.
Si les grandes entreprises n’ont pas ce problème, il n’en va pas de même pour les PME, qui ont les mêmes besoins mais pas les mêmes ressources. Il devient donc crucial pour le directeur industriel de choisir consciencieusement et de manière la plus fiable et argumentée sa stratégie d’investissement répondant à son plan industriel à 2 ans.
Il lui incombe la responsabilité d’identifier quels sont les centres de profits et de coûts permettant à l’entreprise de maximiser ses gains et d’investir afin de les améliorer.
En conclusion, c’est un prisme d’enjeux qu’il faut prendre en considération afin d’assurer la pérennité des entreprises dans les prochaines années.
L’objectif est de mettre en place un cercle vertueux basé sur l’attraction de nouvelles compétences, le changement de pensée de « produit » vers « expérience client » et l’intégration de nouvelles technologies répondant à ces demandes émergentes.
Les nouvelles technologies vont être le critère décisif car sans elles, pas de possibilité de fournir les outils adéquates aux nouvelles générations, pas d’effort écologique non plus pour répondre à leurs attentes et il sera également difficile de repenser l’expérience client en négligeant cet aspect.
Le métier de directeur industriel devrait donc évoluer en ce sens pour considérer ce futur proche mais aussi le faire vivre et l’animer parmi ses équipes. Cela lui permettra d’optimiser pleinement chaque poste et d’assurer le reporting d’informations pouvant être stratégiques.